XIes. OBSERVATIONS.
Sur le cercle des couleurs :
Où l'analogie des Couleurs avec les
tons de la Musique, se fait
bien sentir.
M. Newton en mesurant l'espace qu' occupent les couleurs
au nombre de sept qu'il a
comptées dans
l'Arc-en-Ciel, pouvant,
s'il l'avoit voulu, y en compter
bien d'avantage, a trouvé
ces espaces relativement égaux à
ceux des cordes qui sonnent les
sons du systême mineur de la musique, la ,si, ut, re, &c.
Voilà toute l'analogie que ce
grand Géomètre a jamais trouvée
entre les sons & les couleurs.
Je me suis attaché aux premiers traits que
Kircher & d'autres Auteurs m'avoient
fournis.
Un des plus remarquables est celui du cercle de
douze
couleurs, tout-à-fait parallèle à celui
de douze sons qui composent
la gamme complète de la musique.
Mais l'ordre primitif est
unique par une suite de couleurs
intermédiaires, qui, quoiqu’on en
dise, ne sont que
douze, ni plus ni
moins,
y en ayant précisément
trois, le céladon, le verd & l'olive
entre le bleu & le jaune; deux,
l'aurore & l'orangé entre le jaune
& le rouge; & quatre, le cramoisi,
le violet, l'agathe, le violant, entre
le rouge & le bleu.
Vlles. OBSERVATIONS.
Où l'on continue à réduire à trois
Couleurs toutes celles dont se
servent les Peintres.
Ceux qui n'ont jamais vû les
couleurs, que
par un trou,
dans une chambre obscure, au travers
d'un
Prisme, ou qui ne les ont
jamais spéculées qu'au milieu des
nuées, dans
l'Arc-en-ciel, sans daigner
jetter les yeux sur cette non
moins admirable & infiniment plus
riche variété que la nature étale
au grand jour sur la terre; & qui
cependant fur la foi de
M. Newton & des autres Philosophes Géomètres,
croycnt que c'est-là toute
l'Optique, ou la Chromatique ,
seront surpris de ne me voir parler
que de lacque, de bleu de Prusse,
de vermillon, de terre d'ombre ,
& de couleurs qu'ils traiteront de
grossieres.
Messieurs les
Newtoniens , qui
traitent les
Cartesiens de faiseurs
de Romans, me permettront de remarquer
que le Roman consiste ici
à ne spéculer que des couleurs fantastiques,
à passer par les épreuves de la
chambre
obscure , comme dans Amadis, & à ne mesurer que
des angles & des lignes Géométriques,
lorsqu'il s'agit de la nature Physique des couleurs.
Il n'y a que du
merveilleux, &
par conséquent du Romanesque, à
courir ainsi, presqu'en Chevalier
errant, après des couleurs immatérielles, accidentelles , artificielles,
& qui n'ont point de corps,
tandis qu'on laisse là les couleurs
substantielles, naturelles , palpables,
qu'on a toujours sous les yeux.
XIIes. OBSERVATIONS.
Suite du cercle des Couleurs :
Application aux divers Arts.
J'y avois imité par un calcul
assez exact, toutes les couleurs de
l'arc-en-ciel.
M. Newton ne les a
comptées qu'en gros, lorsqu'il en
a mis sept. J'y en avois fait entrer
mille, bien comptées; & il y en
avoit plutôt moins que trop. J'y
en aurois bien mis deux & trois
& quatre mille si je l’avois voulu;
mais il me suffisoit d'approcher de
la nature, jusqu'à tromper l'oeil.
Il étoit si bien trompé , que de
loin on y distinguoit fort bien toutes
les couleurs de
l'arc en-ciel.
XVIIIes. OBSERVATIONS.
Où l'on démontre l’existence de cent quarante
quatre ou cent quarante cinq couleurs possibles,
ni plus , ni moins.
La raison en est bien simple :
douze fois
douze font cent quarante
quatre. Or il y a
douze degrés
de coloris, comme
douze degrés
de clair-obscur, &
douze
bleus,
douze céladons ,
douze verds , font cent quarante quatre.
Il ne faut que sçavoir la multiplication, ou la simple addition même pour cela.
REPONSE DU
P. CASTEL
à la Lettre de M. de *** datée du
2 de Juillet 1739 & insérée dans
les Mémoires de Trévoux Septembre 1739
Je me défiois du
prisme & de
son
spectre fantastique. Je le regardois
comme un art enchanteur; comme un miroir infidèle
de la nature, plus propre par son
brillant à donner l'essor à l'imagination, & à servir l'erreur, qu'à
nourrir solidement l'esprit, & à
tirer du puits profond l'obscure
vérité. Effectivement le
prisme est
aujourd'hui une curiosité, un amusement,
une mode; & je ne le vois,
Monfieur, que dans vos mains,
à la veille de devenir une Ecole.
Je le regardois avec terreur,
comme un écueil signalé par le
naufrage d'un vaisseau fameux ,
suivi de mille Vaisseaux, qui venoient
à l'envi partager son désastre, en recueillant ses débris.
Je le regardois avec respect,
comme le propre champ de Bataille
de
Mr. Newton, & par
la haute opinion que j'avois d'un
chef si aguerri, je le supposois
(Mrs. les Newtoniens me pardonneront
cette hypothese) invincible sur son terrain; n'ignorant
pas cette maxime de guerre de ne jamais combattre au gré de son ennemi.
SECONDE LETTRE
DU
P. CASTELJesuite, en réponse
à Monsieur D * * *. sur
le faux des expériences d’Optique
du célèbre Monsieur I. Newton.
Or ici, c'est à dire
dans le vrai, la divergence
du bleu & du violet, & celle du
rouge & du jaune sont telles,
qu'elles produisent une très grande
& très sensible convergence
entre le jaune & le bleu.
C’est ce jaune & ce bleu
qui donnent le démenti le plus formel au systême & aux mesures
Newtoniennes,
jusqu'à faire douter, s'il étoit possible, que Mr.
Newton eût jamais manié de Prisme. Selon lui, l'angle de réfrangibilité
& de réfracion du jaune,
ect plus petit que celui du bleu.
Or il ect ici de beaucoup plus
grand. La nature ect-elle donc
changée depuis une quarantaine
d'années, que
M. Newton s'est
vanté de l'avoir prise sur le fait ?
Newton n'avoit
jamais observé , mesuré ni
calculé les réfractions originales
des rayons sortants du prisme.
Depuis
qu'il eut fixé les yeux sur le
scpectre, il ne les en détourna pas
un moment. Les caractères roides
vont toujours en avant. Après
avoir pris ce
spectre à une certaine
distance du
Prisme , il consentit
bien à le suivre plus loin,
mais jamais à regarder en arrière,
& à le rapprocher de sa source
Je l'ai dit :
peu coloriste, il ne connoissoit
que les belles couleurs.
DESCRIPTION
DE
L'ORGUE OU CLAVECIN
OCULAIRE DU
P. CASTEL.
Par le célèbre M Tellemann
Musicien.
IL y a, mes chers Lecteurs,
douze ou treize ans que
Monsieur le Père Castel Jesuite, publia
dans le Mercure
de Paris les premières
idées de son clavecin ou
orgue oculaire , qui fit tant de
bruit; des idées si neuves ne
paroissant
avoir alors pour objet qu'une
simple spéoulation que bien des
gens crurent pouvoir taxer d'inutile , & même d'imaginaire
ou de
chimérique. L'Auteur, à la vérité,
se défendit de les réaliser pendant
neuf ou dix années. Mais enfin
quelques personnes de ses amis
l'engagèrent insensiblement, &
comme il le dit, sans qu'il s'en apperçût,
à les mettre en exécution.
C'est ce qu'il a fait de ses propres
mains sans
le secours d'aucun ouvrier, & il est parvenu au point
d'avoir presque entièrement achevé
son ouvrage.
Il y a un son fondamental
& primitif dans la nature, auquel
nous pouvons, par les régles de
l'Art, donner le nom de ut : & il
y a aussi
une couleur
tonique originale
& primitive, qui sert de
base & de fondement à toutes les
couleurs, c'est le bleu.
Les tons entiers se partagent
en demi-tons, & les cinq tons entiers
de l'échelle ou gamme, y
compris les deux demi tons naturels,
font douze demi-tons;
sçavoir
l'ut naturel , l’ut dieze; le re,
le re dieze; le mi; le fa, le fa dieze; le sol, le sol dieze; le la, le
la dieze; & le
si.
Il y a pareillement
douze demi- couleurs, ou
demi-teintes, & il ne peut y en avoir
ni plus ni moins, selon l'aveu des Peintres mêmes , & comme
on peut le démontrer par d'autres
raisons.
Ces couleurs sont le
bleu,
le céladon, le verd, l’olive, le jaune,
l’aurore, l'orangé, le
rouge, le cramoisi, le violet, l’agathe
& le violant.
M. le Père Castel a mis au
jour tout l'arrangement de son
nouvelle orgue ou clavecin, &
de sa nouvelle Musique chromatique.
Cependant jusqu'ici nous n'avons
encore que
la moitié de la
Musique. Le mouvement en fait
l'ame, & ce mouvement consiste
à faire entendre en differens tems
differens sons, plus ou moins durables
selon la mesure ou selon
la Musique qui les régle.
Il s'agit donc ici de pouvoir, à
son gré, montrer ou cacher les
couleurs, de faire parôitre tantôt
le bleu, tantôt le rouge, puis le
verd, le violet. Quelquefois le
verd
& le rouge successivement,
tandis que le rouge demeure ou
passe lentement devant nos yeux,
ou seul , ou en compagnie d'autres
couleurs.
Comme la touche en pressant
ou en tirant une targete, une pilore,
ou un talon ouvre une soupape
pour opérer un son, de même
le
P. Castel s'est servi de cordons
de soye, de fils-d'archal, ou
de languettes de bois, qui, étant
tirés ou poussés par le derrière ou
le devant de la touche, ouvrent
un
coffre de couleurs, un compartiment, ou une peinture, ou
une lanterne éclairée en couleurs.
De manière qu'au même instant
vous entendez un son,vous voyez
une couleur relative à ce son. Ceci
suffit pour l’instruction au sujet
du mouvement musical des couleurs.
Plus les doigts courent & sautent
sur le clavier, plus on voit
de couleurs , soit en accords, soit
dans une suite d'harmonie.