Louis-Bertrand Castel
L’Optique des couleurs
A Paris, Chez Briasson, rue Saint-Jacques à la Science, 1740.
                                                     α      ©
XIes. OBSERVATIONS.
Sur le cercle des couleurs :
Où l'analogie des Couleurs avec les tons de la Musique, se fait bien sentir.
     M. Newton en mesurant l'espace qu' occupent les couleurs au nombre de sept qu'il a comptées dans l'Arc-en-Ciel, pouvant, s'il l'avoit voulu, y en compter bien d'avantage, a trouvé ces espaces relativement égaux à ceux des cordes qui sonnent les sons du systême mineur de la musique, la ,si, ut, re, &c.
     Voilà toute l'analogie que ce grand Géomètre a jamais trouvée entre les sons & les couleurs.
     Je me suis attaché aux premiers traits que Kircher & d'autres Auteurs m'avoient fournis. Un des plus remarquables est celui du cercle de douze couleurs, tout-à-fait parallèle à celui de douze sons qui composent la gamme complète de la musique.
     Mais l'ordre primitif est unique par une suite de couleurs intermédiaires, qui, quoiqu’on en dise, ne sont que douze, ni plus ni moins, y en ayant précisément trois, le céladon, le verd & l'olive entre le bleu & le jaune; deux, l'aurore & l'orangé entre le jaune & le rouge; & quatre, le cramoisi, le violet, l'agathe, le violant, entre le rouge & le bleu.
Vlles. OBSERVATIONS.
Où l'on continue à réduire à trois Couleurs toutes celles dont se servent les Peintres.
     Ceux qui n'ont jamais vû les couleurs, que par un trou, dans une chambre obscure, au travers d'un Prisme, ou qui ne les ont jamais spéculées qu'au milieu des nuées, dans l'Arc-en-ciel, sans daigner jetter les yeux sur cette non moins admirable & infiniment plus riche variété que la nature étale au grand jour sur la terre; & qui cependant fur la foi de M. Newton & des autres Philosophes Géomètres, croycnt que c'est-là toute l'Optique, ou la Chromatique , seront surpris de ne me voir parler que de lacque, de bleu de Prusse, de vermillon, de terre d'ombre , & de couleurs qu'ils traiteront de grossieres.      Messieurs les Newtoniens , qui traitent les Cartesiens de faiseurs de Romans, me permettront de remarquer que le Roman consiste ici à ne spéculer que des couleurs fantastiques, à passer par les épreuves de la chambre obscure , comme dans Amadis, & à ne mesurer que des angles & des lignes Géométriques, lorsqu'il s'agit de la nature Physique des couleurs.
     Il n'y a que du merveilleux, & par conséquent du Romanesque, à courir ainsi, presqu'en Chevalier errant, après des couleurs immatérielles, accidentelles , artificielles, & qui n'ont point de corps, tandis qu'on laisse là les couleurs substantielles, naturelles , palpables, qu'on a toujours sous les yeux.
XIIes. OBSERVATIONS.
Suite du cercle des Couleurs :
Application aux divers Arts.
     J'y avois imité par un calcul assez exact, toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. M. Newton ne les a comptées qu'en gros, lorsqu'il en a mis sept. J'y en avois fait entrer mille, bien comptées; & il y en avoit plutôt moins que trop. J'y en aurois bien mis deux & trois & quatre mille si je l’avois voulu; mais il me suffisoit d'approcher de la nature, jusqu'à tromper l'oeil. Il étoit si bien trompé , que de loin on y distinguoit fort bien toutes les couleurs de l'arc en-ciel.
XVIIIes. OBSERVATIONS.
Où l'on démontre l’existence de cent quarante quatre ou cent quarante cinq couleurs possibles, ni plus , ni moins.
     La raison en est bien simple : douze fois douze font cent quarante quatre. Or il y a douze degrés de coloris, comme douze degrés de clair-obscur, & douze bleus, douze céladons , douze verds , font cent quarante quatre. Il ne faut que sçavoir la multiplication, ou la simple addition même pour cela.
REPONSE DU P. CASTEL
à la Lettre de M. de *** datée du 2 de Juillet 1739 & insérée dans les Mémoires de Trévoux Septembre 1739
     Je me défiois du prisme & de son spectre fantastique. Je le regardois comme un art enchanteur; comme un miroir infidèle de la nature, plus propre par son brillant à donner l'essor à l'imagination, & à servir l'erreur, qu'à nourrir solidement l'esprit, & à tirer du puits profond l'obscure vérité. Effectivement le prisme est aujourd'hui une curiosité, un amusement, une mode; & je ne le vois, Monfieur, que dans vos mains, à la veille de devenir une Ecole.
     Je le regardois avec terreur, comme un écueil signalé par le naufrage d'un vaisseau fameux , suivi de mille Vaisseaux, qui venoient à l'envi partager son désastre, en recueillant ses débris. Je le regardois avec respect, comme le propre champ de Bataille de Mr. Newton, & par la haute opinion que j'avois d'un chef si aguerri, je le supposois (Mrs. les Newtoniens me pardonneront cette hypothese) invincible sur son terrain; n'ignorant pas cette maxime de guerre de ne jamais combattre au gré de son ennemi.
SECONDE LETTRE DU P. CASTEL
Jesuite, en réponse à Monsieur D * * *. sur le faux des expériences d’Optique du célèbre Monsieur I. Newton.
     Or ici, c'est à dire dans le vrai, la divergence du bleu & du violet, & celle du rouge & du jaune sont telles, qu'elles produisent une très grande & très sensible convergence entre le jaune & le bleu.      C’est ce jaune & ce bleu qui donnent le démenti le plus formel au systême & aux mesures Newtoniennes, jusqu'à faire douter, s'il étoit possible, que Mr. Newton eût jamais manié de Prisme. Selon lui, l'angle de réfrangibilité & de réfracion du jaune, ect plus petit que celui du bleu. Or il ect ici de beaucoup plus grand. La nature ect-elle donc changée depuis une quarantaine d'années, que M. Newton s'est vanté de l'avoir prise sur le fait ?
     Newton n'avoit jamais observé , mesuré ni calculé les réfractions originales des rayons sortants du prisme. Depuis qu'il eut fixé les yeux sur le scpectre, il ne les en détourna pas un moment. Les caractères roides vont toujours en avant. Après avoir pris ce spectre à une certaine distance du Prisme , il consentit bien à le suivre plus loin, mais jamais à regarder en arrière, & à le rapprocher de sa source Je l'ai dit : peu coloriste, il ne connoissoit que les belles couleurs.
DESCRIPTION DE L'ORGUE OU CLAVECIN OCULAIRE DU P. CASTEL.
Par le célèbre M Tellemann Musicien.
     IL y a, mes chers Lecteurs, douze ou treize ans que Monsieur le Père Castel Jesuite, publia dans le Mercure
de Paris les premières idées de son clavecin ou orgue oculaire , qui fit tant de bruit; des idées si neuves ne
paroissant avoir alors pour objet qu'une simple spéoulation que bien des gens crurent pouvoir taxer d'inutile , & même d'imaginaire
ou de chimérique. L'Auteur, à la vérité, se défendit de les réaliser pendant neuf ou dix années. Mais enfin quelques personnes de ses amis
l'engagèrent insensiblement, & comme il le dit, sans qu'il s'en apperçût, à les mettre en exécution. C'est ce qu'il a fait de ses propres mains sans
le secours d'aucun ouvrier, & il est parvenu au point d'avoir presque entièrement achevé son ouvrage.
     Il y a un son fondamental & primitif dans la nature, auquel nous pouvons, par les régles de l'Art, donner le nom de ut : & il y a aussi une couleur
tonique originale & primitive, qui sert de base & de fondement à toutes les couleurs, c'est le bleu.

     Les tons entiers se partagent en demi-tons, & les cinq tons entiers de l'échelle ou gamme, y compris les deux demi tons naturels, font douze demi-tons;
sçavoir l'ut naturel , l’ut dieze; le re, le re dieze; le mi; le fa, le fa dieze; le sol, le sol dieze; le la, le la dieze; & le si. Il y a pareillement douze demi- couleurs, ou
demi-teintes, & il ne peut y en avoir ni plus ni moins, selon l'aveu des Peintres mêmes , & comme on peut le démontrer par d'autres raisons. Ces couleurs sont le bleu,
le céladon, le verd, l’olive, le jaune, l’aurore, l'orangé, le rouge, le cramoisi, le violet, l’agathe & le violant.

     M. le Père Castel a mis au jour tout l'arrangement de son nouvelle orgue ou clavecin, & de sa nouvelle Musique chromatique. Cependant jusqu'ici nous n'avons encore que
la moitié de la Musique. Le mouvement en fait l'ame, & ce mouvement consiste à faire entendre en differens tems differens sons, plus ou moins durables selon la mesure ou selon
la Musique qui les régle. Il s'agit donc ici de pouvoir, à son gré, montrer ou cacher les couleurs, de faire parôitre tantôt le bleu, tantôt le rouge, puis le verd, le violet. Quelquefois le verd
& le rouge successivement, tandis que le rouge demeure ou passe lentement devant nos yeux, ou seul , ou en compagnie d'autres couleurs.
     Comme la touche en pressant ou en tirant une targete, une pilore, ou un talon ouvre une soupape pour opérer un son, de même le P. Castel s'est servi de cordons de soye, de fils-d'archal, ou de languettes de bois, qui, étant tirés ou poussés par le derrière ou le devant de la touche, ouvrent un coffre de couleurs, un compartiment, ou une peinture, ou une lanterne éclairée en couleurs. De manière qu'au même instant vous entendez un son,vous voyez une couleur relative à ce son. Ceci suffit pour l’instruction au sujet du mouvement musical des couleurs.
     Plus les doigts courent & sautent sur le clavier, plus on voit de couleurs , soit en accords, soit dans une suite d'harmonie.