Jean-Paul Marat
Mémoires académiques ou Nouvelles découvertes sur la lumière, relatives aux points les plus importans de l'optique, Paris, chez N.T. Méquignon, rue des Codeliers, 1788

Introduction p VII

A l’égard des deux premiers Mémoires, je suis même une marche entièrement différente : dans l’un, je démontre que les principes de Newton ne rendent point raison des Phénomènes ; dans l’autre, je développe une multitude de faits inconnus jusqu’à moi, mais , simples & invariables , diamétralement opposés à ces principes.
... Le même sujet est remanié dans les deux derniers Mémoires; j’y combats encore le systême Newtonien par d’autres expériences, & telle que l’abondance de mes preuves que je ne suis plus embarrassé que du choix.
p VIII
Le premier de mes Mémoires contient un examen géométrique & physique des principales expériences que Newton donne en preuve du systême de la différente réfrangibilité; & j’y fais voir que ces expériences font toutes fausses ou illusoires. Indépendamment de diverses contre expériences & faits nouveaux directement contraires à ce systême , j’y offre une suite d’observations tranchantes qui avoient également échappé & à ses partisans & à ses adversaires; observations bien propres à démontrer que les principes de l’Auteur ne rendent nullement raison des phénomènes.
p IX
Le troisième Mémoire attaque l’explication que Newton donne de l’Arc-en-ciel, d’après les expériences de l’Archevêque de Spalato ; expériences illusoires, & à plus d’un égard. J’y fais voir que les rayons hétérogènes , supposés émergens du nombre Infini de goûtes de pluie qui tombent de la nue, ne peuvent former ni arcs séparés , ni teintes marquées. Après avoir ruiné par parties ce pompeux édifice, j’en sappe les fondemens , en montrant le faux du système de la différente réfrangibilité.
p X
Et comme l’explication donnée par Newton porte sur la doctrine de la différente réfrangibilité & suppose celle des accès de facile réflexion & de facile transmission, je m’attache à en démontrer le peu de solidité.

Errata p XV

Pour cela , il faudroit nécessairement que les rayons du soleil fussent parallèles : ce que Newton paroît avoir bien senti ; aussi leur suppose-t-il gratuitement cette direction, sans se mettre en peine des observations qui démontrent le contraire. Hypothèse commode, que j’ai relevée plus d’une fois.

Notice p 3

L’académie de Lyon proposa en 1784, pour sujet d’un Prix extraordinaire de Physique, de Déterminer si les expériences sur les-quelles Newton établit la différente réfrangibilité des rayons hétérogènes sont décisives ou illusoires.
p 6
Les critiques diront encore que l’Académie s’étant félicitée d'avoir a couronner deux Défenseurs de la Doctrine Newtonien ne, n’a pas absolument fait preuve d’impartialité dans la distribution de ses faveurs.
p 7
Mais il est manifeste qu’on ne doit point comprendre dans ces expériences celles de mes deux Mémoires; car leurs résultats sont constamment opposés à ceux de Newton. Je dis mieux: dans celui qui porte pour devise Ex fumo dare lucem, je démontre partout que les expériences Newtonien nes font illusoires; puisqu’il me suffit presque toujours de les varier pour avoir des résultats différens, souvent même opposés.
... Si la Nature ne peut jamais offrir de phénomènes contradictoires, un seul fait simple & constant, diamétralement opposé aux expériences de Newton, suffit pour les renverser: ainsi ce n’étoit qu’en relevant les antagonistes de ce profond Géomètre, que ses partisans pouvoîent le défendre; ou plutôt ce n’étoit qu’en examinant avec soin les faits nouveaux développés dans mes deux Mémoires.

Programme p 11

Les Expériences sur lesquelles Newton établît la différente réfrangibilité des rayons hétérogènes sont-elles décisives ou illusoires ?
p 15
Quoique les couleurs du spectre passent de l’une à l’autre par une multitude de nuances, Newton en compta sept principales, & il les nomma couleurs primitives. Voici leur ordre relativement au degré de réfrangibilité qu’il assigna à chaque espèce de rayons dont elles résultent, mais en allant du moins au plus : rouge, orangé, jaune, vert, bleu , indigo & violet. C’est cette différente réfrangibilité prétendue des rayons hétérogènes, qui fait la base de la théorie de cet illustre Physicien.
p 19
Au reste, qu’on ne croie pas qu’en combattant Newton , je cesse un instant de l’admirer. S’il se trompa, ce fut en grand homme; & peut- être rien ne prouve-t-il mieux la supériorité de son génie, que le systême de la différente réfrangibilité. Ce systême manque de solidité, sans doute; mais il l’a rendu vraisemblable ? Que dis-je, vraisemblable? Il a su le revêtir des caractères apparens du vrai, au point de faire illusion au monde savant pendant un siècle entier; & pour l’établir, que de talens ne déploya-t-il pas? Quelle sagacité dans la manière dont il interrogea la Nature ! quelles ressources d’imagination dans les moyens qu’il employa pour découvrir les propriétés de la lumière ! quelle dialectique dans la manière dont il fit concourir les faits à la preuve de ses opinions ! quel art dans la manière dont il appliqua le calcul aux résultats de ses expériences ! quelle adresse dans la manière dont il voila les parties foibles & défectueuses de sa doctrine ! Prodigieux jusques dans ses écarts, il remplaça des découvertes réelles par des découvertes fictives plus étonnantes encore, & déploya pour étayer une erreur plus de génie cent fois qu’il n’en falloit pour l’éviter. Après cet hommage rendu à sa mémoire je me flatte qu’on ne me fera pas un crime du courage avec lequel j’embrasse ouvertement contre lui la cause de la vérité.

Expérience I p 23

Ainsi l’expérience de l’Auteur n’est pas simplement illusoire, elle est fausse ; & comme elle est la seule directe à l’appui du systême de la différente réfrangibilité , je vous invite , Messieurs, à réfléchir sur cette circonstance essencielle : mais déjà vous m’avez prévenu. Si la seule expérience directe que Newton ait donnée en preuve de son systême est fausse, le moyen que les expériences indirectes ne soient pas toutes illusoires !
p 27
Or ces iris qui bordent constamment l’image des corps isolés vus au Prisme, & dont Newton ne dit pas un mot, sont l’unique cause du transport apparent de l’une de ces images au-dessus de l’autre.
p30
Il est donc hors de doute que la première Expérience de Newton eft illusoire, & que dans cette expérience notre profond Géomètre a pris le change sur la cause des phénomènes.

Expérience III p 35

C’est le triomphe de Newton, Messieurs, que l’art avec lequel il applique la Géométrie à la Physique; & rien n’égaleroit la solidité de ses raisonnemens, s’ils portoient toujours sur des principes bien établis. Mais ne sortons point de notre sujet, & pour faire sentir le faux des conséquences qu’il a déduites de sa fameuse expérience, simplifions-en l’énoncé.
p 37
Sans doute rien de plus conséquent en apparence que le raisonnement de Newton ; mais il porte sur deux hypothèses également fausses.
p 42
Voyons dans quel ordre les couleurs du spectre se développeroient, si le systême Newtonien étoit fondé.
… Phénomène diamétralement opposé aux principes de Newton.
p 45
Voilà des conséquences nécessaires du systême Newtonien ; mais que les faits font bien loin de confirmer.
p 47
C’est là une suite nécessaire des rapports de réfrangibilité que Newton lui-même a fixés. On demandera sans doute avec surprise comment des conséquences aussi simples ont échappé à ce profond Géomètre : mais l’étonnement redouble, lorsqu’on pousse l’examen jusqu’au bout.

Expérience IV p 58

Il est malheureux & encore plus étrange, que Newton ait toujours choisi pour obfserver le jeu de la lumière , des points de vue qui ne lui permettoient pas de s’appercevoir de l’illusion des phénomènes.
p 62
Enfin ces iris peuvent être supprimées par la méthode indiquée à l’article de la premiere Expérience; il est donc indubitable qu’elles ne tiennent point aux réfractions prismatiques. Mais ne quittons point encore l’expérience de notre Auteur , & démontrons que les phénomènes ne découlent point de ses principes, qu’ils lui font même diamétralement opposés.

Expérience V p 66

Observez, Messieurs, que Newton suppose les rayons solaires parallèles, & les rayons hétérogènes également inclinés aux surfaces réfringentes; hypothèses dont nous avons démontré la fausseté par des preuves invincibles; le moyen que les conséquences qu’il en tire soient justes. Mais si ces rayons paroissent plus ou moins refractés ce n’est pas qu’ils soient plus ou moins réfrangibles c’est qu'ils sont plus ou moins déviés à la circonférence du trou qui leur donne passage.
p 67
Or, ce qui eût sans doute bien étonné Newton, & ce qui étonnera bien davantage ses partisans; c’est que l’image réfractée LATÉRALEMENT PAR LE SECOND Prisme APPLIQUÉ CONTRE l’ŒIL NE FORME PAS UNE DROITE, MAIS UNE COURBE.
p 69
Convenez donc, trop zélés partisans du systême Newtonien , que les rayons hétérogènes sont tous également réfrangibles, ou répondez à ce dilemme.
p 71
Je pourrois sans doute me dispenser à présent de passer à l’examen des autres expériences capitales fur lesquelles porte le systême de la différente réfrangibilité : j’y jeterai néanmoins un coup d’oeil, par égard pour son sublime Auteur.

Expérience VI p 72

Cette démonstration porte sur une hypothèse évidemment fausse ; car Newton attribue aux rayons hétérogènes une incidence commune sur chaque Prisme , sans jamais tenir compte de leur déviation à la circonférence du trou destiné à les introduire dans la chambre obscure : erreur capitale que nous ne cesserons de relever, puisqu’elle revient dans tous ses raisonnemens.
p 74
Il semble que par une fatalité inconcevable. Newton ait toujours choisi les circonstances les plus propres à perpétuer les résultats illusoires de la troisième Expérience ; comme s’il eut voulu ôter aux autres & s’ôter à lui-même tout moyen d’en appercevoir les défauts.

Expérience VIII p 80

En s’efforçant d’établir la doctrine de la différente réfrangibilité. Newton rencontroit partout des phénomènes qui auroient dû lui en faire reconnoître le faux : mais il n’étoit occupé qu’à les plier à son systême; & pour y parvenir, il fut souvent réduit à hasarder des assertions sans fondement, disons même des assertions opposées à ses propres principes.
p 81
L’intensité des nuances de chaque couleur du spectre augmente du milieu aux extrémités : mais cette gradation même est une inconséquence du systême Newtonien , comme je l’ai observé plus haut. Et combien d’autres inconséquences plus étranges encore ?

Expérience IX p 88

A quoi bon, Messieurs, cette longue expérience? - A étayer une assertion que l’Auteur croyoit avoir déjà établie fur des preuves directes. Mais si cette expérience bien prise ne vient point à l’appui de son systême, elle nous fournit une occasion de plus d’en démontrer le faux. Eh ! qui ne voit que Newton variant à son gré la direction respective des rayons immédiats du soleil à leur incidence sur le Prisme, leur prête dans tous les cas celle qui convient le mieux à ses vues, quoiqu’elle soit constamment la même dans la Nature.
p 89
Qu’il me soit permis de relever en passant l’abus que l’on fait chaque jour des Mathématiques. Lorsqu’on attaque le systême Newtonien fur les couleurs , on se contente de répondre-qu’il est démontré géométriquement. Quoi ! parce que l’Auteur aura tracé des figures sur du papier, pour rendre plus sensible ce qu’il supposoit sans fondement, on appellera démonstrations géométriques cet assemblage de lignes, dont aucune n’est même propre à donner quelque idées des directions réelles des rayons solaires; & on opposera ces hypothèses gratuites, fausses, contradictoires, mais figurées à des observations confiantes, à des faits tranchans & décisifs ! Je m’arrête, Newton a frayé la route dans cette belle partie de l’Optique, & la reconnoissance due à ses efforts suspend mes réflexions sur la méthode de raisonner de ses Disciples. Me voici ramené malgré moi aux inconséquences du Maître; mes observations toutefois n’auront pour but que les progrès de la science.
p 90
Ce n’est pas tout; il semble qu’il ait épuisé les ressources de son beau génie à imaginer des expériences délicates, qu’il a l’art d’amener par quelque circonstance à l’appui de son systême, sans jamais s’embarrasser des circonstances qui l’infirment.
p 92
Voilà, Messieurs, la vraie cause de ces phénomènes que Newton attribue sans fondement à la différente réflexibilité des rayons hétérogènes; hypothèse démentie par les faits les plus directs : car quelle que siit la couleur des rayons incidens fur un miroir métallique, leurs angles de réflexion sont parfaitement égaux, tant que leurs angles incidence sont les mêmes. Ainsi tout est faux ou illusoire dans cette expérience de l’Auteur. Reste l’examen de la dernière dont il étaie son systême de la différente réfrangibilité.

Expérience X p 97

Se peut-il qu’un observateur, tel que Newton, n’ait pas reconnu que la décomposition de la lumière qui tombe fur le parallélipipède ne sauroit provenir de la réflexion ?
p 98
D’ailleurs, comment Newton ne s’est-il pas apperçu à la simple inspection des phénomènes , qu’ils ne peuvent jamais tenir à la différente réflexibilité des rayons hétérogènes : Ces phénomènes, selon moi, tiennent à une cause particulière, qu’il importe assez peu de développer ici; puisqu’il ne s’agit que de montrer l’insuffisance de celle que Newton leur assigne.
p 104
Après cela, que penser de la prétendue démonstration de l’Auteur. Entre-t-il dans l’esprit qu’un génie aussi profond ait établi des principes dont il n’auroit pas songé à faire la moindre application aux phénomènes , ou plutôt qu’un observateur aussi sagace se soit trompé au point de n’avoir pas apperçu les inconséquences & les contradictions, qui découlent des hypothèses de la différente réflexibilité & de la différente réfrangibilité ?

Résumé p 108

Mais, Messieurs, j’ai analysé toutes ces expériences avec un soin particulier, & j’ai démontré que les résultats de la Iere sont équivoques, même faux : équivoques , en ce que Newton a confondu les phénomènes de la réfraction des rayons réfléchis par la bande de papier, peinte moitié en bleu, moitié en rouge, avec les phénomènes de la déviation des rayons décomposés sur les bords de cette bande.
p 109
J’ai démontré aussi que les résultats de la IIeme Expérience sont faux & cela simplement en éclairant mieux l’objet que n’avoit fait Newton. J’ai démontré encore que dans la IIIeme Expérience, ce profond Géomètre ne tient aucun compte des rayons solaires déviés autour du soleil ou du trou qui leur donne passage, & décomposés avant leur incidence sur le Prisme. Inconséquence frappante qui se retrouve dans toutes les autres expériences, où il suppose toujours contre les faits égale incidence & inégale réfraction des rayons hétérogènes. Ainsi quel que soit le nombre des Prismes qu’ils viennent à traverser, jamais ils ne se réfractent plus ou moins en apparence, que parce qu’ils se sont plus ou moins déviés en effet. Preuve convaincante, s’il en est, que cette fameuse expérience est illusoire, de même que toutes les autres du même genre. J’ai fait plus, j’ai comparé géométriquement les phénomènes de la formation du spectre à la doctrine de la différente réfrangibilité de ces rayons, & j’ai démontré d’une manière victorieuse, que loin de s’y appliquer heureusement, elle leur est diamétralement opposée.
p 110
A l’égard de la IVeme Expérience, j’ai démontré qu’elle rentre dans la IIIeme, dont elle a tous les défauts… Après avoir établi sur des preuves incontestables que, dans la Veme Expérience, le spectre formé par le second Prisme n’a point la figure qui devroit résulter de la différente réfrangibilité prétendue des rayons hétérogènes; j’ai fait voir que Newton n’avoit pas même observé avec attention la figure oblique qu’il décrit avec tant d’art, puisqu’eile forme une courbe, au lieu de former une droite.
p 113
De l’examen approfondi dans lequel je fuis entré, le Lecteur instruit & impartial conclura sans doute que les Expériences données par Newton , en preuve du systême de la différente réfrangibilité, ne font rien moins que décisives. J’ai rempli la tâche imposée par l’Académie.
p 114
En analysant ces Expériences, je les ai dépouillées de ce qu’elles ont d’imposant; j’en ai fait voir les défauts, & j’ai démontré par des faits simples, uniformes, invariables, qu’elles sont toutes fausses ou illusoires. Arrivé au terme de la carrière, souffrez, Messieurs, que je m’arrête, & que du point où je suis parvenu, je jette un coup d’oeil sur les routes nouvelles que je viens de m’ouvrir, pour vous inviter à les reconnoître, en vous remettant le flambeau qui m’a guidé.


MÉMOIRE Programme p 119

Les Expériences sur lesquelles Newton établit la différente réfrangibilité des rayons hétérogènes sont-elles décisives ou illusoires ?
p 125
Que faut-il donc pour prouver sans répliques la fausseté du systême Newtonien ?
p 134
Phénomènes aussi uniformes qu’invariables, mais impossibles à concevoir dans le systême Newtonien . … Les rayons hétérogènes ne diffèrent donc point en réfrangibilité.
p 147
N’en doutez pas, Messieurs, c’est pour avoir négligé de tenir compte de la déviation & de la décomposition des rayons autour des corps, que Newton n’a pu parvenir à rendre raison des phénomènes qu’elles présentent. Ce premier point manqué, il ne fit que s'égarer de systême en systême : sur celui de la différente réfrangibilité des rayons hétérogènes, bâtissant ceux de la différente réflexibilité, & des accès de facile transmission & de facile réflexion; on le vit soumettre à des lois bizarres le mouvement si régulier de la lumière, admettre dans chaque corps deux forces contraires, exercées sur elle en meme temps, flotter d’inconséquences en inconséquences, recourir au merveilleux , & perdre sans retour les traces du vrai. Exemple mémorable des erreurs sans nombre où s’enfoncent les plus profonds Scrutateurs de la Nature, lorsqu’ils négligent les moindres phénomènes & qu’ils oublient d’analyser les faits. Peu-à peu les erreurs de Newton sont devenues celles de presque tous les Physiciens du monde ; & quand elles n’auroient fait qu’enchaîner les esprits, arrêter la marche du génie, retarder la connoissance des merveilles de la vision : un siècle entier, irrévocablement perdu pour les progrès de la science, seroit déjà matière aux pins vifs regrets.
p 149
Animé de votre zèle, je me fuis livré à de profondes recherches sur la lumière, j’ai porté dans le systême de Newton le flambeau de l’analyse, j’en ai découvert les fondemens ruineux; & je m’applaudirai doublement de mes efforts, si mon travail est jugé digne de vos suffrages.

MÉMOIRE Sur l’explication de l’Arc-en-ciel donnée par Newton Envoyé au Concours ouvert par la Société Royale des Sciences de Montpellier, en Octobre 1786. p 151

p 153
PROGRAMME : L’explication de l’Arc-en-ciel donnée par Newton, porte-t-elle sur des principes incontestables; & est-il bien démontré que les rayons hétérogènes, supposés émergens du nombre infini de goûtes de pluie qui tombent de la nue doivent former des arcs séparés ?
p 163
Telle est l’explication que Newton donne de l’Arc-en-ciel, explication où l’on retrouve toujours le grand Géomètre, quoique la science & la dialectique du Physicien y soient souvent en défaut. Mais quoi, entreprendre de renverser une doctrine avec laquelle les phénomènes semblent s'accorder si bien, & dont on ne cesse d’exalter le sublime, paroitra sans doute téméraire, peut-être même insensé ! Je ne puis me dissimuler, Messieurs, combien est délicate la tâche que j’entreprends, & quel désavantage auroit un Novateur, s’il ne comptoit parmi ses Juges que d’aveugles partisans du systême qu’il combat. Mais après l’exemple que vous venez de donner au monde savant, pourrois-je craindre encore ? Plein de confiance en vos lumières je ne balancerai donc plus à faire passer sous vos yeux les preuves frappantes qui doivent assurer le triomphe des vérités nouvelles que j’ai à établir.

PREMIÈRE PARTIE p 165

Newton prétend expliquer rigoureusement toutes les circonstances du phénomène : en le suivant pas à pas , il me seroit facile, Messieurs, de prouver qu’il n’en explique aucune; je me bornerai toutefois, suivant votre voeu, à celles qui ont trait à la figure & au nombre des Iris; je me servirai, pour combattre sa doctrine , des argumens mêmes dont il se sert pour l’étayer.
p 167
Newton admet comme un fait constant, sur l’autorité de certaines expériences, que le premier arc est produit par deux réfractions & une réflexion intermédiaire des rayons que transmettent les goutes de pluie; le second arc, par deux réfractions & deux réflexions intermédiaires, &c. Quelle multiplicité de causes pour produire un seul effet & comment se persuader que la Nature, si économe dans ses moyens, en emploie de si compliqués? Voyons toutefois, examinons le jeu de la lumière dans les goutes de pluie, analysons les expériences à l’aide desquelles l’Auteur essaya d’imiter les apparences optiques de l’Arc-en-ciel, ou plutôt sur lesquelles il appuya sa démonstration, & approfondissons une matière que cet habile Géomètre ne fit qu’effleurer.
p 172
L’hypothèse fondamentale, sur laquelle l’Auteur s’étaie , n’est donc pas simplement gratuite, mais fausse. Ne craignons pas de le dire : dans cette hypothèse, les rayons solaires ne pourroient jamais émerger des goutes de pluie en assez grand nombre pour n’être pas dispersées avant de parvenir à l’œil, fût-il même placé à une distance cent fois moindre que celle d’où il appercevroit le mieux l’Arc-en-ciel; leur impression fur l’organe de la vue seroit donc absolument nulle.
p 178
Newton triomphe lorsqu’il s’agit de calculs : à l’aide de quelques formules, tout paroît s’applanir sous sa plume; & il faut voir comment il déduit des rapports de réfrangibilité les apparences optiques de l’Arc-en-ciel.
p 185
Qui ne voit au demeurant que si ces prétendus rapports de réfrangibilité n’étoient pas imaginaires, les Iris auroient tous la même largeur; puisque ces rapports seroient invariables : leur largeur étant très différente, il fuit de-là bien clairement, ou que les rayons générateurs de la même Iris n’ont pas les mêmes angles d’incidence, ou que leurs angles de réfraction sont inconnus : ce qui rend absolument arbitraires les données du problème. Il est donc évident que les calculs de Newton font manqués.
Hé ! comment ne le seroient-ils pas, à en juger par la marche qu’il a suivie ? Au lieu de déduire les phénomènes de ses principes, il a plié ses principes aux phénomènes : le moyen d’en douter, en examinant la manière dont il s’y est pris pour former-un Arc-en-ciel double !
p 193
Conséquences né-cessaires des principes de l’Auteur, mais que l’expérience dément. Ainsi ce systême rend raison de tout, excepté des phénomènes qui caractérisent l’Arc-en-ciel : que de savoir vainement prodigué !
p 195
Il eft incontestable que l’explication de l’Arc-en-ciel donnée par Newton se réduit à de simples conjectures destituées de fondement. On alléguera sans doute en preuve les expériences d’où les données du problème ont été déduites : c’est ici le lieu d’analyser ces expériences, & de faire voir le peu de justesse de cette induction.
p 201
Newton qui possédoit si bien le talent de développer une expérience, possédoit sans doute également celui de l’analyser : mais il oublia plus d’une fois d’en faire usage, & c’est à cet oubli qu’il faut attribuer la foiblesse (pour ne rien dire de plus) de presque toutes les parties de son sytême des couleurs. Un penchant irrésistible le portoit toujours, en étudiant la Nature, à recourir à l’instrument qu’il manioit le mieux : aussi n’est-il presqu’aucun phénomène auquel il n’ait appliqué quelque formule géométrique
p 204
Il paroît donc certain que Newton a observé ce phénomène à la base d’un Prisme équilatéral, & qu’il s’est contenté, suivant sa coutume, d’y clouer une formule géométrique.
p 213
Mais c’est: trop longtemps s’arrêter à de vains calculs; montrons que les rayons solaires, de quelque manière qu’ils soient réfractés ou réfléchis par des goutes de pluie, ne peuvent jamais former d’Arc-en-ciel; pour cela ayons recours à des observations qui n’auroient pas dû échapper à notre profond Géomètre.
p 215
Il est donc bien démontré que le travail de Newton sur l’Arc-en-ciel est purement hypothétique. Ainsi, malgré que ces hypothèses paroissent d’abord quadrer avec quelques circonstances du phénomène, elles ne rendent raison ni des intervalles, ni de la position , ni de l’étendue, ni de la forme, ni des couleurs de l’arc-en- ciel, pas même des heures où il paroit, pas même du lieu où il est vu.

SECONDE PARTIE p 217

L'Explication de l’Arc-en-ciel donnée par Newton porte-t-elle sur des principes incontestables ?
p 223
Vérité incontestable que Newton n’ignoroit pas, lui qui avoit consacré un livre entier de son Optique à l’analyse de l’expérience de Grimaldi; toutefois il ne la fit entrer pour rien dans l’explication du spectre : ainsi sa demonstration ne renfermant pas tous les élémens essentiels, est nécessairement manquée. Mais pour mieux sentir ce qu’elle a de défectueux, comparons les phénomènes qu’offrent les rayons solaires réfractés par le Prisme, aux phénomènes qu’ils offriroient s’ils étoient différemment réfrangibles : parallèle qui va nous fournir contre l’Auteur une foule d’observations aussi neuves que frappantes.
Oui, Messieurs, c’est en vain que ce sublime Géomètre s’efforce de ramener les phénomènes du spectre à la différente réfrangibilité des rayons hétérogènes. Ici j’entends les partisans de la doctrine que je réfute crier au paradoxe. Quelle apparence, objectent-ils, que Newton se soit fait illusion à lui-même toute la vie, & quelle apparence qu’il en ait imposé à l’Europe savante pendant un siècle entier ! —Rien de plus constant néanmoins : l’imputation paroitra sans doute étrange, mais elle va être justifiée par des preuves irrésistibles. Daignez les peser avec cette impartialité scrupuleuse qui caractérise les vrais scrutateurs de la Nature, les amis de la vérité.
p 232
Ainsi ce que notre illustre Auteur dit de la formation du spectre est opposé aux phénomènes, soit à l’égard des couleurs sous lesquelles paroîtroient les prétendues images colorées du soleil, soit à l’égard de l’ordre qu’elles observeroient en se développant, soit à l’égard de l’instant où elles se manifesteroient. Son systême est donc éternellement démenti par l’expérience.
p 240
Examinons maintenant cet étrange systême. Il ne faut pas beaucoup de sagacité pour s’appercevoir qu’il est sans exactitude dans l’exposition des phénomènes, & sans justesse dans leur explication. Quelques formules déduites d’une foule d’observations mal faites y sont érigées en principes. Partout le mouvement si régulier de la lumière y est assujeti à des lois capricieuses, partout on y a recours au merveilleux, & partout on y trouve inconséquences & contradictions. Mais ces imputations pourroient paroitre hasardées, justifions-les par des preuves sans réplique.

CONCLUSION p 247

De l’examen approfondi dans lequel je suis entré, il suit que l’explication de l’Arc-en-ciel donnée par Newton est établie sur de faux principes, & démentie par une multitude de faits décisifs.
p 248
Me sera-t-il enfin permis de le dire ? Depuis un siècle les erreurs de Newton , consacrées par l’Europe savante, enchaînent le génie, retardent la connoissance des merveilles de la vision, s’opposent au perfectionnement de l’Optique, & arrêtent le progrès des arts & des sciences qui en dépendent.
p 249
Le règne de ces erreurs a duré long-temps, & trop long-temps sans doute : mais grâces aux réclamations d’un novateur de nos jours, vous avez remis en question divers points importans de théorie, & les recherches auxquelles je me suis livré, pour seconder vos vues n’ont pas été sans succès. Souffrez, Messieurs, que je vous invite à jeter un coup d’œil fur les routes nouvelles que je me suis ouvertes. Par une suite de faits tranchans, inconnus jusqu’à moi, j’ai démontré que le systême de la différente réfrangibilité des rayons hétérogènes est complettement faux. Eh, pourroit-on en douter encore, en voyant la lumière qui forme le spectre, venir du soleil toute décomposée? démonstration dont l’évidence doit frapper tous les connoisseurs, & dont la force doit entraîner tous les esprits.
Ce systême néanmoins tenoit aux principaux phénomènes de la vision, & compliquoit étrangement la science en la surchargeant d’expériences illusoires, en l’hérissant de calculs fastidieux; la voilà débarrassée de ce vain étalage, & ramenée à sa simplicité naturelle; désormais moins longue à apprendre, elle sera aussi plus aisée à approfondir.
… Si mon travail est jugé digne de vos suffrages, c’est à vous , Messieurs, que sera dû l’honneur d’avoir accéléré une révolution frappante dans la plus sublime des sciences exactes; révolution glorieuse pour la France, & avantageuse à toutes les Nations.

MÉMOIRE Sur les vraies causes des couleurs que présentent les lames de verre, les bulles d’eau de savon, & autres matières diaphanes extrêmement minces. p 251

Ouvrage qui a remporté le Prix de l’Académie des Sciences, Belles-Lettres & Arts de Rouen , le 2 Août 1785.
p 302
Des phénomènes que présentent les bulles d’eau de savon de leur cause.
De l’observation des phénomènes les plus petits en apparence, dépend quelquefois la découverte des plus grandes vérités. Qui l’eût pensé? Une bulle de savon, jouet de l’enfance, offre plusieurs sujets à la méditation du sage ! A peine détachée du tube qui la gonfle, elle s’abat constamment, à moins que l’air ne soit agité; & dans cette chute constante , il voit agir le principe de la gravitation : tandis que dans la formation des couleurs qu’elle fait briller ensuite, il découvre le jeu admirable du principe des affinités. La cause de ces couleurs est l’objet de nos recherche; commençons par la distinguer avec soin, puis nous la ferons toucher au doigt & à l’oeil, enfin nous en développerons les étranges métamorphoses.
Quoique toutes les couleurs possibles viennent de la seule décomposition de la lumière que les corps attirent; celles des bulles de savon diffèrent prodigieusement de celles des plaques de verre comprimées : les premières sont passagères, & pourtant elles tiennent au principe des couleurs permanentes des corps; les dernières sont permanentes, & pourtant elles tiennent au principe des couleurs passagères des corps. Newton les confondit sans cesse; séduit par des opinions bisarres, il ne se lassa point d’examiner les objets, ne parvint jamais à les voir, & se perdit dans de fastidieuses descriptions : puis cherchant à découvrir la raison des phénomènes, s’égarant à chaque pas, il courut après des chimères , fit un roman physique, & s’épuisa en fictions ridicules, ayant toujours la Nature sous les yeux.
CONCLUSION p 321
J’ai prouvé, jusqu’à l’évidence, que le principe assigné par Newton aux couleurs des corps minces diaphanes est destitué de tout fondement ; & j’ai démontré par une fuite de faits simples, clairs, décisifs, les vraies causes de ces phénomènes; j’oserai donc me flater d’avoir rempli la tâche imposée par l’Académie.

Jean-Paul Marat
Mémoires académiques ou Nouvelles découvertes sur la lumière, relatives aux points les plus importans de l'optique, Paris, chez N.T. Méquignon, rue des Codeliers, 1788



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