ΠΕΡΙ ΤΟΥ ΕΜΦΑΙΝΟΜΕΝΟΥ ΠΡΟΣΩΠΟΥ ΤΩΙ ΚΥΚΛΩΙ ΤΗΣ ΣΕΛΗΝΗΣ

Plutarchi Philosophi Chaeronensis Libellus De Facie, Quae In Orbe Lunae Apparet

Plutarque, De la Face qui apparoist dedans le rond de la Lune

Plutarch. Concerning the Face which appears in the Orb of the Moon

Plutarque, DE LA FACE QUI PAROIT SUR LA LUNE

Plutarque, Sur le visage qui apparaît dans le disque de la lune

α      ©


920b


Well, to begin with,
you see that it is absurd to call the figure seen in the moon
an affection of vision in its feebleness giving way to brilliance,
a condition which we call (bedazzlement).
Anyone who asserts this does not observe that this phenomenon
should rather have occured in relation with the sun,
since the sun lights upon us keen and violent
as Empedocles too somewhere not infelicitously
renders the difference of the two:

the sun keen-shafted and the gentle moon.




Vous apercevez au premier coup d'œil
tout le ridicule de l'opinion qui attribue
cette figure qu'on voit sur le globe de la lune
à un accident de la vue éblouie par la lumière de cette planète
. On ne fait pas réflexion que cet accident devrait plutôt avoir lieu à l'égard du soleil,
dont la lumière frappe nos yeux bien plus vivement.
Empédocle a marqué avec justesse la différence de ces deux effets,
lorsqu'il a dit :

Le soleil de ses feux embrase l'hémisphère;
Par de plus doux rayons la lune nous éclaire.

* Le texte donne à la Lune l'épithete de pierreuse,
Amyot l'a conservée dans sa traduclion; mais il est visble que c'est une faute de copiste




Tu vois, en effet, immédiatement
qu’il est absurde de dire que la figure qui apparaît dans la Lune
provient d’une affection du rayon visuel qui, par faiblesse,
recule sous l’effet de la brillance
—c’est ce que nous appelons éblouissement—
sans voir que le phénomène devrait plutôt se produire sous l’action du Soleil,
qui nous frappe de manière aiguë et violente;
c’est ainsi qu’un passage d’Empédocle aussi
rend avec bonheur la différence entre les deux,

Le Soleil aux traits aigus et la Lune douce.



920e




Not badly depicted by the words of Agesianax:

She gleams with fire encircled,
but within bluer than lapis
show a maiden's eye and dainty brow,
a visage manifest.




* hic vero verecundanti adversum comparatur
mais ici c'est comparé à l'impudique - traduction Google
verecundanti : ayant de la honte, de la timidité - Gaffiot.




Comme le fait assez bien entendre le poète Agésianax, lorsqu'il dit :

La lune nous présente un contour lumineux;
En elle on voit briller la douce et pure image
D'une .jeune beauté que la couleur des cieux
En relevant ses traits embellit davantage.
Dans ses yeux, sur son front, une vive rougeur
S'allie avec éclat à la simple candeur.




C’est au contraire ce qu’Agésianax a décrit d’une manière qui n’est pas mauvaise
lorsqu’il a dit :

Elle brille d’un éclat de feu tout autour d’elle,
mais en son milieu Plus clair que le bleu-sombre
se font voir comme un œil de vierge
Et un front humide ;
à la voir on dirait un visage.


920f


Clearchus

The man, you see, asserts that what is called the face
consists of mirrored likenesses,
that is images of the great ocean reflected in the moon



Il disait que ce que nous regardons comme une figure humaine dans la lune
est l'image de la grande mer,
représentée sur cette planète comme dans un miroir.



Cet homme dit, en effet, que ce qu’on appelle le visage qui apparaît dans la Lune
consiste en images vues comme dans un miroir,
car il s’agit de reflets, sur la Lune, de la grande mer.
* Lucian, Icaromenippus, § 20.      Ioannis Kepleri, Dissertatio Cum Nvncio Sidereo.      Alexander von Humboldt, Kosmos, Bd. 3, Stuttgart 1850.


921a


And the full moon is itself in uniformity and lustre the finest and clearest of all mirrors.
Just as you think, then, that the reflection of the visual ray to the sun
accounts for the appearance of the (rainbow) in a cloud
where the moisture has become somewhat smooth and (condensed),

so Clearchus thought that the outer ocean is seen in the moon,
not in the place where it is but in the place whence the visual ray has been deflected
to the ocean and the reflection of the ocean to us.
So Agesianax again has somewhere said:

Or swell of ocean surging opposite
Be mirrored in a looking-glass of flame.





Et la pleine lune, par l'égalité et l'éclat de sa surface,
est le plus beau et le plus pur des miroirs.
Comme vous croyez que l'arc-en-ciel
est produit par la réflexion des rayons du soleil
qui frappent notre vue après avoir été réfractés
dans une nuée dont les vapeurs légères et humides ont été condensées,

de même, selon lui, la mer extérieure était représentée sur le globe de la lune,
non à la place même où cette mer est située,
mais dans l'endroit où la réfraction en produit l'image,
que la réflexion des rayons lunaires renvoie jusqu'à nous.
C'est ce que dit encore Agésianax dans le passage suivant :

L'image de la mer par les vents agitée,
Là, comme en un miroir, était représentée.





Et la pleine Lune est elle-même le plus beau et le plus pur de tous les miroirs,
par sa régularité et sa brillance.
De la même manière que vous pensez que c’est parce que le rayon visuel
est repoussé vers le Soleil que l’arc-en-ciel se voit dans un nuage
où l’humidité, en toute immobilité, s’est faite lisse et condensée,

ainsi pour Cléarque la mer extérieure se voit-elle dans la Lune,
c’est-à-dire non pas à la place où elle se trouve réellement,
mais là où la réflexion produit le contact entre le rayon visuel et la mer
et donc le reflet de celle-ci.
Ainsi Agésianax, de nouveau, dit quelque part :

Là où la grande vague de l’océan qui se soulève à l’opposé
Apparaît en une reproduction dans un miroir embrasé.



923b





For the shadow of the earth grows smaller the further it extends,
because the body that casts the light is larger than the earth;
and that the upper part of the shadow itself is taper and narrow was recognized,
as they say, even by Homer,
who called night « nimble » because of the sharpness of the shadow.




Car cette ombre est moindre que la terre,
parce que le corps lumineux qui la produit est plus grand que notre globe;
son extrémité a peu de largeur, et se termine en pointe;
ce qu'Homère lui-même n'a pas ignoré,
puisqu'il donne à la nuit l'épithète de « pointue »,
par allusion à l'extrémité de l'ombre de la terre.




En effet, que l’ombre de la Terre soit plus petite dans son extension
sous l’effet de la source lumineuse qui est plus grande
et que la partie supérieure de l’ombre elle-même soit ténue et étroite,
voilà qui n’a même pas échappé à Homère, comme ils disent :
en effet, il a qualifié la nuit de « pointue »
à cause du caractère effilé de l’ombre.



927f


And it cannot be said that the fire which flashes in the eyes above
is ‘natural’ whereas that in the bowels and heart is ‘contrary to nature,’
but each has been assigned its proper and useful station.




Le feu qui éclate dans ses yeux n'est pas plus dans sa situation naturelle
que celui qui a son siége au cœur et dans l'estomac n'est placé contre sa nature;
ils occupent l'un et l'autre la place qui leur est la plus convenable et la plus utile.




Et il n’est pas vrai que pour le feu, celui qui brille en haut dans les yeux soit conforme
à la nature tandis que celui qui est dans l’abdomen et dans le cœur serait contre nature;
au contraire chacun se trouve rangé de manière appropriée et utile.



928b


On the contrary, the rational principle is in control;
and that is why the stars revolve fixed like
‘radiant eyes’
in the countenance of the universe, the sun in the hearts capacity
transmits and disperses out of himself heat and light
as it were blood and breath,
and earth and sea ‘naturally’ serve the cosmos
to the ends that bowels and bladder do an animal.
The moon, situate between sun and earth as the liver or another of the soft viscera
is between heart and bowels, transmits hither the warmth from above
and sends upwards the exhalations from our region,
refining them in herself by a kind of concoction and purification.




Mais une raison souveraine ayant présidé à l'organisation du monde,
les astres, comme des yeux destinés à répandre la lumière,
ont été attachés au ciel, qui est comme le front de l'univers, et ils y font leur révolution.
Le soleil, qui remplit les fonctions du cœur, envoie partout sa lumière et sa chaleur,
qui sont comme le sang et les esprits.
La terre et la mer sont pour le monde ce que l'estomac et la vessie sont pour l'animal.
La lune, placée entre le soleil et la terre,
comme le foie ou quelque autre des viscères mous
sont situés entre le cœur et l'estomac,
nous transmet la chaleur des substances supérieures,
et attirant à elle les vapeurs qui s'élèvent de la terre,
elle les atténue et les purifie par la sorte de coction qu'elle leur fait subir.




Mais, sous le pouvoir de la raison, les derniers tournent fixés sur le front de l’univers,
à la manière d’yeux porteurs de lumière;
le Soleil, ayant la puissance d’un cœur,
envoie et disperse hors de lui-même chaleur et lumière comme du sang et du souffle;
et le monde se sert de la terre et de la mer naturellement,
comme le fait un animal d’un abdomen et d’une vessie;
la Lune, reposant entre le Soleil et la Terre,
comme le foie ou quelque autre viscère mou entre le cœur et l’abdomen,
transmet ici-bas la chaleur d’en haut et restitue vers le haut les exhalaisons d’ici,
qu’elle raffine autour d’elle par une sorte de coction et de purification



929a


This very face which she displays is the result of some alteration of her substance
or of the admixture somehow of another substance.
That which is subjected to mixture, however, is the subject of some affection too,
for it loses its purity, since it is perforce infected by what is inferior to it.
The moon's sluggishness and slackness of speed
and the feebleness and faintness of her heat , in the words of Ion,

Ripes not the grape to duskiness.




Cette face qui paraît sur son disque ne peut venir que de quelque affection
de sa substance ou du mélange de quelque autre corps ;
car tout mélange produit une altération et fait perdre à une substance sa pureté,
en la pénétrant d'une matière moins bonne.
D'ailleurs la lenteur de son cours, la débilité de sa chaleur,
qui, suivant le poète Ion,

Ne fait jamais mûrir le fruit noir de la vigne,





Ce visage lui-même qui se fait voir c’est une certaine affection de sa substance
ou un mélange étroit, si l’on veut, avec une autre substance
qui en a provoqué la naissance en surface ;
or précisément un corps qui est mêlé est affecté d’une certaine manière;
en effet il perd sa pureté parce qu’il est empli par force
de quelque chose qui lui est inférieur.
Le flou du rayon de la Lune, le caractère émoussé de sa vitesse,
l’inefficacité et l’amenuisement de sa chaleur, qui fait que, selon Ion,

La grappe de raisin noir n’est pas mûrie.



929b


The fact is in brief, my dear Aristotle,
that regarded as earth the moon has the aspect
of a very beautiful, august, and elegant object;
but as a star or luminary or a divine and heavenly body
she is, I am afraid, misshapen, ugly, and a disgrace to the noble title,
if it is true that of all the host in heaven she alone goes about in need of alien light,
as Parmenides says

‘ Fixing her glance forever on the sun ’




En un mot, mon cher Aristote,
la lune, comme terre,
est un corps très beau, très admirable et fort bien ordonné;
mais comme astre, comme corps lumineux céleste et divin,
je crains qu'on ne puisse lui reprocher sa laideur et sa difformité,
et qu'elle ne déshonore le beau nom qu'elle porte,
si, de ce grand nombre de substances célestes,
elle est la seule qui ait besoin d'une lumière empruntée,
et qui toujours, suivant Parménide,

Tienne sur le soleil ses regards attachés.




En un mot, en effet, cher Aristote,
en tant que Terre,
elle apparaît un objet d’une totale noblesse, vénérable et bien ordonné;
mais comme astre ou lumière, ou corps divin et céleste,
je crains qu’elle ne soit laide et inconvenante
et qu’elle ne déshonore la noble formule qui la qualifie,
si du moins seule parmi le grand nombre de corps célestes,
elle accomplit son tour en ayant besoin d’une lumière étrangère,
selon Parménide

Toujours cherchant du regard les rayons du Soleil.



929c


As Empedocles says,

From heaven above as far as to the earth,
Whereof such breadth as had the bright-eyed moon
She cast in shade,

just as if the light had fallen into night and darkness and not upon an other star.




Et, comme dit Empédocle,

De toute la grandeur de son globe obscurci
Arrêtant ses rayons au haut de l'hémisphère,
Elle empêche souvent qu'ils n'éclairent la terre.

Il semble qu'alors la lumière du soleil tombe dans la nuit et dans les ténèbres,
et non pas sur un autre astre.




Comme dit Empédocle,

D’en haut jusque sur la Terre elle a obscurci une partie de la Terre
Aussi grande que la largeur de la Lune à l’œil étincelant,

comme si la lumière tombait dans la nuit et l’obscurité, et non pas sur un autre astre.



931f


Night is the shadow of earth
and the eclipse of the sun is the shadow of the moon.




La nuit est l'ombre de la terre,
comme l'éclipse du soleil est l'ombre de la lune.




La nuit est l’ombre de la terre,
tandis que l’éclipse du Soleil est l’ombre de la Lune.



932e


Add thereto first, if you will,
the argument from the shape of the shadow.
It is a cone,
as is natural when a large fire or light that is spherical
circumfuses a smaller but spherical mass.




Commençons, si vous le voulez, par l'argument tiré de la figure de l'ombre,
qui est celle d'un cône,
attendu que tout grand corps de feu ou de lumière qui a la forme sphérique
circonscrit une masse de moindre grandeur, mais de même figure.




Mais ajoute, veux-tu, premièrement l’argument tiré de la forme de l’ombre.
Car c’est un cône,
puisqu’un grand feu ou une grande lumière sphériques
entourent un volume plus petit et sphérique.



934c


But it is not so, my dear Pharnaces,
for as she is eclipsed she exhibits many changes of colour
which scientists have distinguished as follows,
delimiting them according to time or hour.
If the eclipse occurs between eventide and half after the third hour,
she appears terribly black;
if at midnight,
then she gives off this reddish and fiery colour;
from half after the seventh hour a blush arises on her face;
and finally, if she is eclipsed when dawn is already near,
she takes on a bluish or azure hue,
from which especially it is that the poets and Empedocles give her the epithet
‘bright-eyed.’




Mais ce n'est point là, mon cher Pharnace, sa couleur particulière;
et la lune, pendant son éclipse, prend successivement plusieurs couleurs différentes
que les mathématiciens déterminent suivant le temps et l'heure,
et qu'ils distinguent ainsi :
quand elle s'éclipse vers le soir,
elle paraît d'un noir effrayant jusqu'à trois heures et demie;
si c'est à minuit,
elle jette une couleur rougeâtre qui tient de celle du feu;
après sept heures et demie,
sa couleur est purement rouge; enfin, vers l'aube du jour,
sa teinte est d'un bleu tirant sur le gris,
ce qui lui fait donner par les poètes, et en particulier par Empédocle,
le surnom de glaucopis
Note




Or ce n’est pas le cas, mon cher Pharnakès, car lorsqu’elle subit une éclipse elle change souvent de teinte et les astronomes déterminent ces teintes selon le temps et l’heure239et les divisent comme suit : si l’éclipse arrive le soir, la Lune paraît terriblement noire jusqu’à la troisième heure et demie ; à minuit, elle émet cette couleur rougeâtre et enflammée ; à partir de la septième heure et demie, le rouge survient ; et enfin, vers l’aube, elle prend dès lors une coloration bleutée et azurée, d’où justement les poètes surtout et Empédocle tirent l’épithète qu’ils lui donnent de à l’œil étincelant



934e


A star or fire could not in shadow shine out black or glaucous or bluish; but over mountains, plains, and sea flit many kinds of colours from the sun, and blended with the shadows and mists his brilliance13 induces such tints as brilliance does when blended with a painter's pigments. Those of the sea Homer has endeavoured somehow or other to designate, using the terms ‘violet’ 14 and ‘wine-dark deep’ 15 and again ‘purple swell’ 16 and elsewhere ‘glaucous sea’ 17 and ‘white calm’ 18; but he passed over as being an endless multitude the variations of the colours that appear differently at different times about the land.




Un astre ou une masse de feu ne peuvent, dans l'ombre, paraître noirs, bleus ou grisâtres ; mais on voit se succéder sur les montagnes, sur les plaines et sur les mers, plusieurs sortes de couleurs que produit la réflexion du soleil, et qui sont l'effet du mélange de la lumière avec les ombres et les nuages, qu'on peut comparer aux premières matières que les peintres emploient pour leurs couleurs. [934f] Homère, pour exprimer ces diverses teintes qui paraissent sur la mer, dit que l'Océan a la couleur de la violette ou du vin ; que les flots sont teints de pourpre ou de bleu, et il désigne le calme par la blancheur. Quant à la variété des couleurs dont la terre se nuance, il n'en a point parlé, sans doute parce que le nombre en est infini.




Un astre ou un feu ne saurait émettre une lueur noire, verdâtre ou bleu-nuit dans l’ombre ; mais il court sur les montagnes, les plaines et les mers beaucoup de couleurs venues du Soleil, et sa brillance, mélangée aux ombres et aux brouillards, produit des teintes comme si elle était mélangée à des pigments de peinture. De ces couleurs, Homère a entrepris de nommer tant bien que mal celles de la mer en disant étendue marine violette242 et vineuse243, et encore flot pourpre244, ou ailleurs mer étincelante245 et bonace blanche246. Mais les couleurs qui apparaissent à la surface de la Terre différemment selon les moments, il les a laissées de côté, parce que leur multitude est sans bornes.

935f


when the sun makes our shadows enormous. you intend to supply sensation with this lovely reasoning that, if the shadow cast is large, what casts the shadow is immense. I am well aware that neither of us has been in Lemnos; we have both, however, often heard this line that is on everyone's lips: Athos will veil the Lemnian heifer's flank.4 The point of this apparently is that the shadow of the mountain, extending not less than seven hundred stades over the sea,5 falls upon a little bronze heifer; but it is not necessary, I presume, that what casts the shadow be seven hundred stades high, for the reason that shadows are made many times the size of the objects that cast them by the remoteness of the light from the objects.




Pensez-vous que quand le soleil donne à nos ombres tant de longueur, il nous suggère ce beau raisonnement que, si le corps d'où l'ombre est projetée a une grande masse, [935f] celui qui produit cette ombre doit être excessivement grand ? Je sais que ni vous ni moi nous page 456 n'avons été à Lemnos ; mais nous avons souvent entendu, l'un et l'autre, ces vers ïambes : L'ombre que fait au loin le sommet de l'Athos Couvre le dos du bœuf que l'on voit à Lemnos. Cette ombre, à ce qu'il paraît, tombe sur un bœuf d'airain qui est à Lemnos : [936a] elle se prolonge par-dessus la mer à une distance qui n'est pas moins de 700 stades (39), ce qui ne vient pas de la hauteur de la montagne d'où l'ombre est projetée, mais de l'éloignement de la lumière, qui fait que les ombres excèdent de beaucoup la grandeur naturelle des corps qui les projettent.




si tu t’imagines, à cause de l’énorme dimension que le Soleil donne à nos ombres, fournir par l’expérience sensible le beau raisonnement suivant : si l’ombre projetée est grande, ce qui projette l’ombre est démesurément grand. Aucun de nous deux, je le sais bien, n’a été à Lemnos ; pourtant, nous avons tous les deux souvent entendu répéter cet iambe par tout le monde : 262 Sophocle, fr. 708 Nauck2 = 776 Kannicht (dans : Radt, 1977) et Lloyd-Jones (1996). 72L’Athos recouvrira les flancs de la vache lemnienne262. 263 Environ, en stades attiques, 124 km. Le Mont Athos s’élève à 2 033 m. et son ombre pourrait théoriq (...) 264 Voir Cherniss (1951), p. 145. 73L’ombre de la montagne s’y projette en effet, semble-t-il, sur une petite vache en bronze, parce qu’elle s’étend à travers la mer sur pas moins de sept cents stades263. Mais il ne faut pas, je suppose, que la montagne qui projette cette ombre soit haute elle-même de sept cents stades, pour la simple raison que l’éloignement de la source lumineuse multiplie de plusieurs fois la taille de l’ombre des corps264.

936c


For example, if when a ray of light rebounds from water to a wall the eye is situated in the place that is itself illuminated by the reflection, the eye discerns all three things, the reflected ray and the water that causes the reflection and the sun itself,1 the source of the light which has been reflected by impinging upon the water. On the basis of these admitted and apparent facts those who maintain that the moon illuminates the earth with reflected light are bidden (by their adversaries)2 to point out in the moon at night an appearance of the sun such as there is in water by day whenever there is a reflection of the sun from it. Since there is no such appearance, (these adversaries) think that the illumination comes about in another way and not by reflection and that, if there is not reflection, neither is the moon an earth.




En effet, quand un rayon lumineux est réfléchi par l'eau contre une muraille, et que la vue porte sur l'espace éclairé par la réflexion, l'œil voit trois choses différentes : [936c] la lumière réfléchie, l'eau qui produit la réflexion, et le soleil lui-même, dont les rayons viennent frapper l'eau qui les réfléchit. Ces points étant avoués et reconnus, on demande à ceux qui veulent que la lune éclaire la terre en lui réfléchissant les rayons du soleil, qu'ils fassent voir pendant la nuit l'image du soleil sur le disque de la lune, comme le jour elle paraît sur l'eau qui réfléchit les rayons de cet astre ; et comme elle n'y est pas visible, on en infère que c'est d'une autre manière que par la réflexion que la lune est éclairée, et que, si cette réflexion n'a pas lieu, la lune n'est pas une terre.




En effet, si un rayon de lumière rebondit d’une surface liquide contre un mur, chaque fois que l’œil se trouve à l’endroit lui-même illuminé par le reflet, il voit les trois réalités : le rayon qui se réfléchit, l’eau qui provoque la réflexion et le Soleil lui-même265, d’où provient la lumière qui tombe sur l’eau et se trouve réfléchie. S’appuyant sur cette observation incontestable, on (sc. les Stoïciens) 266 somme ceux qui soutiennent que la Lune éclaire la Terre par réflexion de faire voir que le Soleil apparaît de nuit dans la Lune, tout comme il apparaît dans l’eau en plein jour chaque fois qu’il y a réflexion du Soleil sur l’eau. Or, comme le Soleil n’apparaît pas, on267 s’imagine que c’est d’une autre façon, et non par réflexion, que se produit l’éclairage ; et que, faute de cette apparition, la Lune n’est pas non plus une Terre.

936e


Those, on the other hand, who declare that the moon is not a tenuous or a smooth body as water is but a heavy and earthy one,7 I do not understand why it is required of them that the sun be manifest to vision in her.
For milk does not return such mirrorings either or produce reflections of the visual ray,
and the reason is the irregularity and roughness of its particles8; how in the world the is it possible for the moon to cast the visual ray back from herself in the way that the smoother mirrors do? Yet even these, of course, are occluded if a scratch or speck of dirt or roughness covers the point from which the visual ray is naturally reflected, and while the mirrors themselves are seen they do not return the customary reflection.




Pour ceux qui disent que la lune n'est pas un corps [936e] lisse et uni comme l'eau, mais que c'est une masse terrestre et pesante, je ne sais pas pourquoi ils veulent qu'on y voie imprimée l'image du soleil ; car le lait lui-même, à cause de l'inégalité et des aspérités de ses parties, ne rend pas ces sortes d'images spéculaires, et ne réfléchit pas la lumière à notre vue. Comment donc serait-il pos- 458 sible que la lune nous renvoyât ces images de sa surface comme les réfléchissent les miroirs les plus polis, lors même que les miroirs ont quelque tache, quelque raie ou quelque inégalité sur leur surface où l'objet réfléchi prend sa forme ? [936f] On voit bien les miroirs, mais ils ne renvoient pas la lumière.




Quant à ceux272 qui déclarent que la Lune est un corps, non pas ténu et lisse à l’instar de l’eau, mais pesant et terreux, je ne vois comment ils seraient tenus de soutenir que le Soleil apparaisse en elle à notre vue. Car le lait ne produit pas non plus les effets spéculaires de cette sorte, ni ne réfléchit le rayon visuel, à cause de l’irrégularité grumeleuse de ses parties273. D’où peut bien venir pour la Lune la capacité de renvoyer à partir d’elle-même notre rayon visuel à la manière précisément des miroirs les plus lisses ? Or, n’est-ce pas, même ces miroirs, dès lors qu’une griffure, une saleté ou une rugosité occupe le point où le rayon visuel est de nature à se réfléchir, deviennent aveugles ; nous, nous les voyons, mais eux ne réfléchissent pas le rayon visuel274.

936f


One who demands that the moon either reflect our vision from herself to the sun as well or else not reflect the sun from herself to us either is naive, for he is demanding that the eye be a sun, the vision light, and the human being a heaven.




Celui donc qui veut que l'image du soleil paraisse dans la lune, ou que notre vue soit réfléchie vers le soleil, qu'il demande aussi que l'œil soit le soleil, que la vue soit la lumière, et l'homme, le ciel.




Qui soutient ou bien que la Lune réfléchit à partir d’elle-même précisément notre rayon visuel sur le Soleil, ou bien même qu’elle ne réfléchit pas le Soleil sur nous, est délicieux, car il soutient que notre œil est un soleil, notre rayon visuel une lumière, et l’homme un ciel !

937c


If the visual ray were affected in the same way by water and by the moon, the full moon ought to show such reflections of the earth and plants and human beings and stars as all other mirrors do.




si notre vue était affectée de la même manière par l'eau et par la lune, il faudrait que cette planète dans son plein représentât les images de la terre, des arbres, des hommes et des astres comme font les miroirs.




Si le rayon visuel subissait les mêmes effets contre l’eau et contre la Lune, la Terre et aussi bien les plantes, les hommes et les astres devraient apparaître dans la pleine lune, comme ils apparaissent dans le reste des miroirs.

937e


If it is not possible, the assertion that the moon is an earth is itself absurd, for she would then appear to have come into existence vainly and to no purpose, neither bringing forth fruit nor providing for men of some kind an origin, an abode, and a means of life, the purposes for which this earth of ours came into being, as we say with Plato,

‘our nurse, strict guardian and artificer of day and night.’

You see that there is much talk about these things both in jest and seriously.




S'il est impossible qu'il y ait des habitants, on ne peut soutenir raisonnablement que la lune soit une terre ; autrement elle aurait été créée en vain et sans motif, puisqu'elle ne porterait aucun fruit, [937e] et qu'aucune race d'hommes n'y trouverait une assiette solide pour y naître et pour s'y nourrir, fins pour lesquelles nous croyons avec Platon qu'a été formée la terre que nous 460 habitons ; Dieu l'a faite pour être

la nourrice du genre humain, pour produire le jour et la nuit et en maintenir fidèlement la durée.

Vous savez qu'on dit sur cette matière beaucoup de choses sérieuses et beaucoup de plaisanteries.




Car, si c’est impossible, il est absurde aussi que la Lune soit une Terre. Il apparaîtra en effet que c’est pour rien et sans motif qu’elle existe, si elle ne produit pas de fruits et ne fournit pas à des humains d’un certain type un emplacement et des moyens d’exister et de subsister ; c’est bien en vue de cela que notre Terre est née ainsi que nous l’affirmons avec Platon, elle qui est

notre nourrice et la stricte gardienne et démiurge du jour et de la nuit.

Mais, tu le vois, le sujet inspire beaucoup de discours tenus aussi bien par plaisanterie qu’avec sérieux.



937f





There is reason to wonder then not that the velocity caused
a lion to fall on the Peloponnesus

but how it is that we are not forever seeing countless men falling headlong
and lives spurned away,
tumbling off the moon,
as it were, and turned head over heels.









h

lion

stone, pierre

man, homme




Il ne faut donc pas s'étonner si la violence de ce mouvement
a fait tomber une fois de la lune un lion dans le Péloponnèse.

On doit plutôt être surpris de ne pas voir tous les jours des milliers d'hommes
et d'animaux, fortement secoués, en tomber la tête la première.




Donc ce qui mérite notre étonnement,
ce n’est pas qu’un lion soit tombé dans le Péloponnèse sous l’effet de la vitesse,

mais que nous ne voyions pas sans cesse des myriades d’hommes en train de tomber
et de vies rejetées à coups deruades,
dégringolant de là-haut pour ainsi dire la tête la première.



939a





Even this complication and variation of the motion is not attributable to irregularity or confusion; but in them astronomers demonstrate a marvellous order and progression,

making her revolve with circles that unroll about other circles,




La variété et les aberrations de son mouvement ne viennent pas d'inégalité ou de désordre  ; les astronomes démontrent au contraire qu'elles sont l'effet d'un ordre et d'un cours admirables;

ils la font passer dans des cercles qui s'entrelacent les uns dans les autres.




Même cette variation du mouvement et son errance ne sont pas le fait d’une anomalie et d’un désordre, mais les astronomes font bien voir en

ramenant ce mouvement à des cercles qui s’enroulent autour d’autres cercles

qu’il y a dans ces variations un ordre et un cheminement merveilleux.



940e





Those men, I think, would be much more amazed at the earth, when they look out at the sediment and dregs33 of the universe, as it were, obscurely visible in moisture, mists, and clouds as a lightless, low, and motionless spot, to think that it engenders and nourishes animate beings which partake of motion, breath, and warmth. If they should chance to hear somewhere these Homeric words,

Dreadful and dank, which even gods abhor
and
Deep under Hell as far as Earth from Heaven

these they would say are simply a description of this place and Hell and Tartarus have been relegated hither while the moon alone is earth, since it is equally distant from those upper regions and these lower ones.’




Pour 468 moi, je pense que ses habitants sont encore plus surpris que nous lorsqu'ils aperçoivent la terre, qui leur paraît comme la lie et la fange du monde, à travers tant de nuages, de vapeurs et de brouillards, qui en font un séjour obscur et bas et la rendent immobile. Ils ont peine à croire qu'un lieu pareil puisse produire et nourrir des animaux qui aient du mouvement, de la respiration et de la chaleur. Et si, par hasard, ils connaissaient ce vers d'Homère :

C'est un affreux séjour, en horreur aux dieux même;
et ceux-ci, du même poète :
II s'enfonce aussi loin sous les terrestres lieux Que la terre elle-même est distante des cieux

ils croiraient certainement que c'est de notre terre que le poète a parlé  ; [940f] ils ne douteraient pas que l'enfer et le Tartare ne fussent placés dans notre globe, et que la lune, également éloignée des cieux et des enfers, ne fût la véritable terre.




Ces gens-là, j’imagine, en voyant la Terre comme un sédiment limoneux de l’univers, à peine visible à travers des liquides351, des brouillards et des nuages, tel un emplacement sans lumière, enfoncé et sans mouvement, seraient bien plus étonnés qu’elle fasse naître et nourrisse des êtres vivants qui aient part au mouvement, à la respiration et à la chaleur. Et, à supposer qu’il leur arrive d’entendre quelque part ces vers d’Homère :

Des réalités effroyables moisies et qui précisément font horreur aux dieux
et
Aussi loin dans l’Hadès que l’est le Ciel de la Terre

ils affirmeront que ces vers ont tout bonnement pour sujet cet emplacement et que l’Hadès et le Tartare s’y trouvent relégués, tandis que la Lune est l’unique Terre, puisqu’elle se tient à égale distance des régions supérieures de là-haut et des régions inférieures d’ici-bas.



941c





The star of Cronus, which we call ‘Splendent’ but they, our author said, call ‘Nightwatchman,




L'étoile de Saturne, que nous appelons Phénon, et qui, dans cette île, porte le nom de Nycture




l’astre de Cronos, que nous, nous appelons « Phainon » (« Brillant »)373, mais que ces gens-là, m’a-t-il374 dit, appellent « Nyctouros » (« Gardien de la nuit »),



942d





So, for example, although they give the right names to Demeter and Cora, they are wrong in believing that both are together in the same region. The fact is that the former is in the region of earth and is sovereign over terrestrial things, and the latter is in the moon and mistress of lunar things. She has been called both Cora and Phersephone, the latter as being a bearer of light and

Cora because that is what we call the part of the eye in which is reflected the likeness of him who looks into it4 as the light of the sun is seen in the moon.




Par exemple, ils ont raison de reconnaître une Cérès, une Proserpine, mais ils ont tort de réunir dans un même lieu ces deux divinités  ; car l'une habite la terre et a l'empire sur toutes les choses terrestres (65) ; l'autre est dans la lune, dont les habitants lui donnent le nom de Coré et de Persephoné. Ce dernier signifie qu'elle porte la lumière. On l'appelle



Coré, qui veut dire la prunelle de l'œil, dans laquelle les objets se peignent, comme la clarté du soleil est représentée sur la lune.




Prenons tout de suite un exemple : ils donnent à Déméter et Coré des noms corrects, mais ils ont tort de croire qu’elles se trouvent toutes les deux au même endroit et dans le même lieu. L’une, en effet, est sur la Terre et régit les êtres qui sont dans la région de la Terre391, tandis que l’autre est sur la Lune et régit les êtres qui sont dans la région de la Lune. Elle se trouve appelée Coré ainsi que Perséphone392 : Perséphone parce qu’elle est porteuse de lumière;



Coré parce que nous donnons le vocable de « pupille » (coré) aussi à la partie de l’œil où brille par réflexion le reflet de celui qui la regarde394, de même que l’éclat du Soleil se voit dans la Lune.



942f





as Homer too has rather well put it in veiled terms:

But to Elysium's plain, the bourne of earth.

Where the range of the earth's shadow ends, this he set as the term and boundary of the earth.




comme Homère le donne adroitement à entendre, quoiqu'en termes couverts, lorsqu'il dit :

Aux champs de l'Élysée, aux confins de la terre.

Il appelle les confins de la terre l'endroit où son ombre finit.




comme Homère précisément l’a dit en termes voilés d’une manière qui n’est pas mauvaise :

Mais vers la plaine de l’Élysée et les limites de la Terre.

Là où en effet l’ombre de la Terre arrête de s’étaler, voilà le terme et la limite qu’il a posés à la Terre.



944a





So much for the moon's substance. As to her breadth or magnitude, it is not what the geometers say but many times greater. She measures off the earth's shadow with few of her own magnitudes not because it is small but she more ardently hastens her motion in order that she may quickly pass through the gloomy place bearing away the souls of the good which cry out and urge her on

because when they are in the shadow they no longer catch the sound of the harmony of heaven.




Voilà ce qu'il disait de la substance de la lune. Quant à sa grandeur et à sa largeur, elles sont beaucoup plus considérables que les géomètres ne le disent. Si elle ne mesure que peu de fois par sa grandeur l'ombre de la terre, ce n'est pas qu'elle soit petite, c'est parce qu'elle y accélère son mouvement, afin de traverser plus promptement cet espace ténébreux à travers lequel elle transporte les âmes vertueuses qui sont pressées d'en sortir et jettent de grands cris

tant qu'elles sont dans l'ombre, parce qu'elles n'y entendent point l'harmonie des corps célestes.




Voilà précisément pour la substance de la Lune. Quant à sa largeur ou à sa grandeur, elles ne se limitent pas aux dimensions données par les géomètres ; elles sont plusieurs fois plus importantes. Si par ses propres dimensions431 elle ne mesure l’ombre de la Terre qu’un petit nombre de fois, ce n’est pas un effet de petitesse ; c’est qu’elle se dépêche ardemment de façon à traverser rapidement le lieu ténébreux, en emportant secrètement les âmes des bons, lesquelles la pressent en criant;

en effet, une fois qu’elles sont dans l’ombre, elles n’entendent plus l’harmonie du ciel.



944b





That is why most people have the custom of beating brasses during eclipses

and of raising a din and clatter against the souls,9 which are frightened off also by the socalled face when they get near it, for it has a grim and horrible aspect.10 It is no such thing, however;




Voilà pourquoi dans les éclipses c'est un usage assez général de frapper sur de l'airain,

et de faire un très grand bruit autour de ces âmes, qui sont encore effrayées lorsqu'elles approchent de ce qu'on appelle la face de la lune, parce qu'elle leur paraît épouvantable à voir, quoiqu'elle ne le soit pas.




C’est pourquoi précisément, au moment des éclipses, la plupart des hommes ont l’habitude d’entrechoquer des objets en bronze

et de faire du bruit et du vacarme contre les âmes434 ; et ce qu’on appelle le visage les épouvante aussi lorsqu’elles s’en approchent, parce qu’il a un aspect effrayant et de nature à donner la chair de poule 435. Or, tant s’en faut que ce soit là la réalité



944e





for it must be out of love for the sun that the moon herself goes her rounds

and gets into conjunction with him in her yearning 〈to receive〉 from him what is most fructifying.




La lune elle-même tourne continuellement, par le désir qu'elle a de s'unir au soleil

pour recevoir de cet astre sa fécondité.




De fait, la Lune elle-même doit à son amour du Soleil de tourner autour de lui

et de s’unir à lui, sous l’emprise de l’aspiration à recevoir de lui ce qu’il y a de plus fécond455