Mémoires récréatifs, scientifiques et anecdotiques du physicien-aéronaute E.G. Robertson :
connu par ses expériences de fantasmagorie, et par ses ascensions aérostatiques dans les principales villes de l'Europe : ex-professeur de physique au Collége central du ci-devant départment de l'Ourthe, membre de la Société Galvanique de Paris, de la Société des arts and des sciences de Hambourg, et de la Société d'émulation de Liége.

Chez l'auteur et à la Librairie de Wurtz, Paris, 1831.

CHAPITRE VI.
Essais de Kirker sur le miroir d'Archimède.
Essais de Buffon.
Mes recherches sur ce miroir.
Mon succès.
Recommandations et départ pour Paris.
Commission nommée par l'Institut.


Je reviens à mon miroir d'Archimède.

On sait que Proclus, à Constantinople, se servit du même moyen, et je vois dans l'éloge de M. Buffon, par Condorcet, que Tzetzès, que je n'ai pas lu, a laissé de ce miroir une description qui montre qu'ils avaient employé un système de miroirs plans.

Entre tous ceux qui ont écrit chez nous sur cette matière, et qui l'ont soumise à des essais, il faut citer en premier lieu le père Kirker Voici la traduction du passage essentiel :
« Plus un miroir droit a de surface, plus il « réfléchit de lumière sur le plan qu'on lui « oppose ; n'a-t-il qu'un pied de surface ? il n'enverra qu'un pied de lumière sur la muraille ; encore faut-il qu'elle soit auprès. L'expérience nous apprend que cette lumière est composée d'une infinité de rayons réfléchis par les différens points de la surface du miroir. Dirigez ce donc un second miroir plan vers le même endroit que le premier, la lumière et la chaleur seront doubles ; elles seraient triples si vous dirigiez de la même manière un troisième miroir plan, et ainsi de suite, à l'infini. Pour prouver que l'intensité de la lumière et de la ce chaleur est en raison directe des surfaces réfléchissantes, j'ai pris cinq miroirs; je les ai exposés au soleil, et j'ai éprouvé que la lumière, réfléchie par le premier, me donnait moins de chaleur que la lumière directe du soleil. Avec deux miroirs la chaleur augmentait considérablement; trois miroirs me donnaient la chaleur du feu ; quatre me donnaient une chaleur à peine supportable. J'ai donc conclu qu'en multipliant les miroirs plans, non seulement j'aurais de plus grands effets que ceux que l'on obtient au foyer des miroirs paraboliques, hyperboliques et elliptiques, mais j'aurais ces effets à une plus grande distance; cinq miroirs me les ont donnés à cent pieds. Quels phénomènes terribles n'aurait-on pas si on employait mille miroirs ! » Puis il conjure les mathématiciens de tenter cette terrible expérience avec les plus grands soins.

M. Buffon, en 1747, c'est-à-dire cent vingt- huit ans après Kirker, voulut exécuter en grand cette même expérience ; il employa un miroir de cent soixante huit glaces étamées, de six pouces chacune. Toutes les expériences qui furent faites publiquement avec ce miroir, au Jardin des Plantes , sont détaillées dans les Mémoires de l'académie des sciences, année 1747; en voici un passage : « Le 5 avril 1747 à 3 heures après midi, par un soleil pâle et couvert de vapeurs et de nuages légers, enfin plus faible que le jour précédent, on a enflammé, à cent cinquante pieds de distance, des copeaux de sapin en moins d'une minute et demie, avec cent cinquante-quatre glaces; lorsque le soleil est vif, il ne faut que quelques ce secondes pour produire l'inflammation.»
Dans le courant de la même année , M. Buffon brûla , aux yeux de tout Paris, un combustible placé à l'autre côté de la Seine. Les glaces étaient tenues et exposées à la lumière du soleil par autant de soldats, qui les dirigeaient, le mieux possible, toutes vers le même point.

Il faut cependant avouer, avec tous les physiciens, malgré ces effets, que ce n'est point là le miroir d'Archimède, construit, selon toute évidence, de manière à aller atteindre les objets avec la vitesse d'un trait, pouvant suivre la marche d'un objet agité, comme les fluctuations d'un vaisseau, et modifier son foyer selon la distance de l'objet, mu enfin presque nécessairement par un mécanisme aussi simple qu'on doit l'attendre du génie puissant qui a doté la mécanique de la théorie du levier des sections coniques et de la vis, moyen de résistance, digne de lutter, pour ainsi dire , contre le principe d'impulsion sphérique des mondes. La machine de Buffon n'a aucun de ces avantages. Les inconvéniens majeurs qu'on reproche à son miroir sont l'impossibilité d'éloigner ou de rapprocher aussitôt que le. cas peut l'exiger; celle de faire obéir sa machine au mouvement diurne du soleil, et par conséquent de ne pouvoir fixer ce foyer sur un même objet pendant plus de cinq ou six minutes; enfin, le temps considérable qu'il faut employer à donner tour à tour, avec la main, à chacune des portions de glace le degré d'inclinaison nécessaire. Deux heures ne suffisent pas pour un tel arrangement de cent soixante-huit glaces. Ces inconvéniens ont laissé cet instrument inutile dans les mains du physicien. Le seul service qu'il ait pu rendre est d'avoir contribué à dissiper les doutes qui pouvaient encore rester à certains esprits, trop peu confians dans les ressources du génie de l'homme, sur l'existence du miroir d'Archimède.
Avant de me livrer à la recherche du moyen que devait avoir employé l'immortel Syracusain, je me pénétrai bien des imperfections et des difficultés attachées à la disposition des miroirs plans dans un parallélogramme, suivant le procédé de Buffon. J'entrevoyais plus de chance de succès à les réunir d'après une figure dont les élémens géométriques pussent me donner des rapports proportionnels et applicables à la mécanique. La circonférence seule pouvait m'offrir ces avantages; elle est en effet la figure la plus simple et la plus parfaite en géométrie; sa forme est moins embarrassante pour une grande machine , et en même temps celle qui offre le plus de place dans un moindre espace.

... Je me vis ainsi arrivé au terme de mes travaux. Le modèle que j'avais confectionné répondait aux conditions que je m'étais prescrites; quoique établis sur de très petites dimensions, tous les miroirs réfléchissaient un foyer commun et, dans un espace déterminé, j'avançais ou je reculais à mon gré ce foyer, sans aucune divergence partielle : je crus donc pouvoir dire dès lors que le miroir d'Archimède était réinventé.

En conséquence, j'adressai une demande à l'administration départementale de l'Ourthe, afin qu'elle voulût bien nommer deux de ses membres pour examiner mon miroir, et en constater les effets. Le rapport de ces deux membres, les sieurs Pitou et Defrance, fut autant favorable que je pouvais le désirer. J'en transcrirai ici quelques passages :
« Les obstacles, disaient-ils, que les connaissances presque universelles de Kirker , et les recherches de Buffon n'avaient pu surmonter, les efforts et la persévérance du Citoyen Robert nous ont semblé les avoir vaincus. Sa machine, de la plus grande simplicité, peut porter son foyer à une très grande distance , et le ramener, aussi promptement que la parole, à la plus courte possible, suivre des mouvemens agités en tout sens , obéir au cours du soleil, et tous ces effets exigent si peu de force, si peu de combinaison, qu'il suffirait à un enfant de voir opérer une fois pour les produire tous.
... Si les effets de cette machine, aussi prompts que terribles , répondent à ce que nous devons en attendre, et à l'espoir qu'en a conçu l'auteur, quels services n'en peut pas espérer la république dans la guerre actuelle ? Exécutée en grand et placée sur nos côtes, son foyer dirigé horizontalement sur les cordages d'un vaisseau assez hardi pour les approcher, les coupe et les met en un instant hors d'état de servir; portée sur les magasins des vivres d'une place assiégée, elle terminera en une heure des sièges qui durent plusieurs mois. Mais cessons de la considérer sous ce point de vue effrayant, où elle nous présente encore un nouveau moyen de destruction. De quelle utilité ne sera-t-elle point aux arts, dans les usines, les manufactures, les laboratoires où le feu est employé comme principal agent? et dans un État où la rareté du bois se fait déjà si vivement sentir? Quels services ne rendra-t-elle pas à l'agriculture, à l'architecture, en réduisant, d'une manière prompte et peu coûteuse, les rochers en une chaux aussi propre à engraisser les terres qu'à bâtir. On ne finirait pas s'il fallait détailler tous les avantages que pourrait produire la découverte du citoyen Robert.»
Parmi les officiers qui signèrent en route mon laissez-passer, un d'eux, le général Kermorvan, prit beaucoup à cœur les avantages que mon miroir pouvait offrir dans les opérations militaires; il rêva aussitôt tous les ennemis de la république réduits en cendre, et il apposa la note suivante au bas du certificat : « Vu passer le dénommé au présent; j'invite tous vrais républicains à aider le citoyen Robert, et à le protéger afin qu'il puisse communiquer au gouvernement une découverte intéressante dans la guerre actuelle.
Valenciennes , 27 pluviôse, l'an IV républicain.
Gal Kermorvan. »