Jean Leurechon, Recreations mathématiques


Première partie, Problème 2,
Représenter dans une chambre close
tout ce qui se passe par dehors.


C’est icy l’une des plus belles expériences d'Optique
& fe faict en cette manière :

Choisissez vne chambre qui regarde sur quelque place,
ou rue fréquentée , sur quelque beau batiment,
ou parterre florissant, pour auoir plus de plaisir:
Fermez la porte & les fenestres,bouchez toutes les ouvertures à la lumière, sauf vn petit trou qu'il faut laisser à dessein;
cela fait, toutes les images ou especes des objets exterieurs entreront à la foule par ce trou, & vous aurez du contentement à les voir, non seulement sur la paroy , mais beaucoup plus sur quelque fueille de papier blanc, ou fur vn linge que vous ferez tenir à deux ou trois estans près du trou,
& encore bien plus, si vous appliquez au trou vn verre conuexe, c'est à dire vn peu plus espais au milieu qu'au bord , tels que sont les miroirs ardents & les verres de lunettes dont se seruent les vieillards.
Car pour lors les figures qui paroissent comme noires ou auec des couleurs mortes, sur le papier paroistront auec leurs couleurs naturelles, voire plus viues que le naturel, & d'autant plus agréables que le Soleil esclairera mieux ces objects, sans esclairer du costé de la chambre.

Sur tout il y a du plaisir à voir le mouuement, des oyseaux, des hommes,ou autres animaux, & le tremblement des plantes agitées du vent;
car quoy que tout cela se face à figure renuersee, neantmoins cette belle peinture, outre ce qu'elle est racourcie en perspective, represente naïuement bien, ce que iamais peintre n'a peu figurer en son tableau, à sçauoir le mouuement continué de place en place.

Mais pourquoy est-ce que les figures paroissent ainsi renuersees ?
Parce que leurs rayons s'entre-couppent auprès du trou,
& les lignes qui partent du bas, montent en haut; celles qui viennent d'en haut, descendent en bas.
Là où il faut remarquer qu'on les peut representer droites eu deux manières,
premièrement auec vn miroir caue,
secondement auec vn autre verre conuexe,
disposé dans la chambre contre le trou & le papier , comme l'expérience & la figure vous enseigneront mieux qu'vn plus long discours.

I’adiousteray seulement en passant, pour ceux qui se meslent de peinture, ou portraicture,
que cette expérience leur pourroit bien seruir à faire des tableaux racourcis , des paysages, des cartes typographiques, &c.
Et pour les Philosophes, que c'eft icy vn beau secret pour expliquer l'organe de la vue;
car le creux de l'œil est comme la chambre close, le trou de la prunelle respond au trou de la chambre , l'humeur cristalline à la lentille de verre, & le fond de l'œil à la paroy ou fueille de papier.


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